Médiocres
Après le coup de tonnerre de la bombe de l’aéroport de Barajas, mettant de fait fin au mal nommé processus de paix, on pouvait s’attendre à une vague de fond populaire, condamnant tout à la fois l’attentat et ETA. Car sur ce point, 98 % des Espagnols s’accordent. D’où vient alors le malaise ? Réponse : de cette satanée politique politicienne qui fait que chaque organisation, chaque parti, chaque syndicat, entend défiler pour son propre compte, avec des arrières pensées politiques et récupératrices en tête.
On est bien loin de l’émouvante unanimité ayant présidé à la mort du jeune conseiller d’Ermua, Miguel Ángel Blanco, assassiné par la bande en juillet 1997, qui avait vu 6 millions d’Espagnols défiler dans toutes les capitales d’Espagne. De l’eau a coulé sous les ponts, les deux Espagne regrettées par le poète Antonio Machado s’affrontent chaque jour davantage. Et le personnel politique de la Péninsule ne se montre guère à la hauteur de l’événement, qu’il soit de droite ou de gauche. C’est ainsi que demain samedi assisterons-nous à l’une des pires cacophonies qui soit : d’un côté les syndicats Commissions ouvrières (communistes ou ce qu’il en reste) et UGT (socialistes), flanqués d’une association d’Equatoriens (nationalité d’origine des deux victimes). On ne voit guère en quoi les intérêts des travailleurs sont concernés par cette marche. Avec derrière, naturellement, tout le poids du PSOE soucieux de récupérer une once de crédibilité.
Et c’est là où le bât blesse. Le PP, qui a ces derniers mois rassemblé plusieurs millions de manifestants dans les rues, n’entend pas se joindre au défilé car selon lui le gouvernement n’a pas cherché le consensus, repoussant ses suggestions et générant la dissention et la division. Pour lui, le défilé du 13 janvier n’est qu’un acte de soutien à la négociation avec les terroristes. Pire, il demande formellement que soient annulées les manifestations. Comme quoi il n’y a pas qu’en France que la droite soit la plus bête du monde.
Ce ne sera guère mieux à Bilbao à celle organisée par le président basque, Ibarretxe. Dans une première étape, on apprenait que Batasuna y participerait, d’où embarras du lehendakari. C’est pourquoi il vient d’urgence de faire changer le slogan mobilisateur. Exit le « Pour la paix et le dialogue », voici dorénavant « Exigeons d’ETA la fin de la violence. Pour la paix et le dialogue ». Ce qui change tout et laissera les séparatistes à la maison. L’œucuménisme est plus évident en Navarre où la droite (UPN) défilera avec le Parti socialiste local et le PNV.
Nous allons donc assister à la manifestation la moins unitaire contre ETA, sans le PP, sans Gallardón, le maire de la capitale, sans l’AVT, sans le Forum d’Ermua, sans les associations des escortes, sans les syndicats de la Garde civile, sans les autres associations equatoriennes type FEM, qui s’est rangée derrière Rajoy. Pour des raisons sémantiques ou électoralistes. L’Espagne n’a décidément pas la classe politique qu’elle mérite.