Indécent
Une grève de la faim n’a jamais passionné personne, a fortiori lorsqu’elle se déroule dans un pays étranger, et loin des caméras. Celle touchant l’étarre José Ignacio de Juana Chaos est en train de tourner vilain et au train où l’on va, son cœur ne va pas tenir bien longtemps. Entre ses deux grèves, il en est en effet à 93 jours de jeûne, le dernier ayant commencé le 7 novembre. Une situation qui tourne au cauchemar pour Zapatero, et qui d’un simple point de vue humain vire à la totale indécence.
Indécence de la part de Juana, qui se pose en victime, alors qu’il est l’auteur des meurtres de 25 personnes, que tout le monde a oubliées. Pour mémoire, et en leur mémoire, en voici les noms : Vicente Romero, Juan García, Esteban del Amo, Fausto Escrigas, Eugene Kent Brown, Juan Carlos González, Vicente Javier Domínguez, Juan Catón Vázquez, Juan Mateos Pulido, Alberto Alonso Gómez, Ricardo Sáenz de Ynestrillas, Carlos Vesteiro Pérez, Francisco Casillas Martín, Jesús María Freixes, Santiago Iglesias Rodino, Carmelo B. Alamo, Miguel A. Cornejo Ros, José Calvo Gutiérrez, Andrés José Fernández Pertierra, Antonio Lancharro Reyes, José Joaquín García Ruíz, Jesús Gimeno Gimeno, Juan Ignacio Calvo Guerrero, Javier Esteban et Ángel de la Higuera López.
Indécence des institutions espagnoles, qui ont monté une telle usine à gaz qu’elles sont dorénavant confrontées à des situations juridiques inextricables. Pour faire simple, il suffit à des condamnés d’éviter de faire des bras d’honneurs aux geôliers, de s’inscrire dans une quelconque université à distance, de suivre des cours de couture ou de macramé, pour que leur peine, atteignant parfois 5.000 ans de détention (grotesque), soit réduite à une vingtaine d’années. Ce qui fait peu cher de la vie humaine et en dit long de l’inconsistance du code pénal espagnol.
Indécence des politiques, ou plutôt du gouvernement, qui pour satisfaire l’opinion publique, se refuse à l’élargissement de Juana, alors qu’il a le droit pour lui. On peut le regretter, étant donné son curriculum mortae, mais c’est un fait, incontournable. Il a fallu recourir à une argutie lamentable, en l’occurrence deux articles signés de lui dans le quotidien Gara, pour lui remettre sur le dos une peine supplémentaire de 12 ans et 7 mois de détention. Comme si deux écrits valaient un tel châtiment ! On sauve ainsi les apparences, en dépit du droit.
Indécence des médias, qui ont osé publier une photo de Juana, simplement revêtu d’un caleçon, intubé, le torse nu cadavérique laissant voir des côtes décharnées. L’atrocité clinique dans toute sa véracité. On pense immanquablement au cliché de la publicité Benetton, montrant dans son horreur les derniers moments d’un moribond. Indécence du Times, le quotidien londonien, qui publie de lui une interview, dans laquelle il assure ne se repentir de rien. Les familles des victimes apprécieront. Tout cela manque singulièrement de dignité.
La suite est presque écrite. Juana, qui n’a renoncé à aucune de ses idées, cherche très certainement la mort, et passera le jour venu aux yeux des exaltés pour un martyr, c’est-à-dire celui qui a choisi de mourir pour sa cause. On oubliera vite qu’il était un tueur, après tout qu’est-ce que la vie de 25 victimes, dans une longue lutte pour l’indépendance ? Davantage que les négociations en sous-sol, que les déclarations triomphantes, que les petites phrases dénuées de sens, le suicide organisé de Juana risque de devenir demain la pierre d’achoppement du conflit basque. Pas seulement indécent, mais dangereux, très dangereux !