Cette Espagne qui ne s'aime pas

Publié le par Jean Chalvidant

Le même jour, samedi dernier, se sont tenues deux manifestations bien différentes. La première a eu lieu à Pampelune, capitale de la Navarre, et a réuni 100.000 personnes sur le thème de « la liberté et le fuero » (les droits ancestraux locaux). De mémoire d’observateur, on n’avait jamais vu autant de protestataires dans les rues d’Iruñea : 50.000 de plus que lors de l’assassinat, par une bombe déposée sous sa camionnette, du conseiller municipal José Javier Mugica en juillet 2001. En tête, le président de la Communauté navarraise, Miguel Sanz, flanqué de Mariano Rajoy, chef de file du PP, le véritable promoteur de l’initiative, qui entendait signifier au gouvernement central que la Navarre ne saurait être prise en otage dans de problématiques négociations avec ETA. Pour lui, la Navarre est l’Espagne. Et point final.

La crainte est en effet grande de voir Zapatero inciter le Parti socialiste du coin, le PSN, à conclure un pacte de gouvernement avec des partis nationalistes, dont Nafaroa Bai. Ce qui à terme signifierait l’intégration de la Navarre dans une future Communauté basque élargie, en tant que quatrième province. L’une des revendications principales des séparatistes. Et par conséquent d’ETA. D’où la manifestation impressionnante de la droite navarraise, qui n’a aucune confiance dans le chef du gouvernement qui s’est jusqu’alors borné à dire que « la Navarre sera ce que les Navarrais en feront. » Un exemple extensible à l’envi et valable demain au Pays basque ; de quoi faire trembler tout Espagnol jacobin.

En d’autres endroits du pays, on manifestait aussi, mais pour d’autres raisons. À l’occasion du quatrième anniversaire de l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis et ses alliés – dont l’Espagne d’Aznar – les mouvements contre la guerre avaient lancé un mot d’ordre pour que dans le monde entier, on clame dans la rue le rejet de la politique menée par Bush. En Espagne, le mot d’ordre fut relayé par le Forum social, appuyé par le PSOE, Izquierda Unida, les syndicats CC.OO et UGT et une centaine d’organisations de moindre importance. L’ensemble réunit à Madrid 400.000 personnes, 1.500 à Barcelone et 500 à Séville. L’ambiance était radicalement différente : là, peu de bannières espagnoles, mais des drapeaux républicains ou soviétiques, des portraits de Lénine et du Che Guevara. Une certaine gauche m’étonnera toujours. L’occasion surtout de fustiger l’initiative de José María Aznar qui, contre son opinion publique, avait décidé d’entrer en guerre aux côtés des Américains. Une manif hors du temps, anachronique même, mais nécessaire au PSOE pour remobiliser ses troupes et retrouver un peu d’oxygène, puisque depuis trois ans, la rue est l’apanage de la droite.

Comme si arpenter le pavé pouvait changer quoi que ce soit à la volonté des gouvernants, ou modifier le cours de la politique ! Mais trouver le même jour, sur le sol espagnol, deux manifestations aussi disparates, la première réclamant le droit de demeurer dans la communauté nationale, l’autre fustigeant une guerre où l’Espagne intervint il y a quatre ans, et dont elle est sortie il y en a trois, prouve le désarroi d’une population excédée par les sectarismes des deux bords. L’Espagne est le pays de tous les excès, elle nous l’a prouvé en juillet 1936, elle doit dorénavant retrouver une sérénité bien malmenée par ses dirigeants. Ce week end où l’Espagne ne s’aimait pas est à oublier bien vite. Heureusement, une bonne nouvelle nous est parvenue dans la soirée : 58,8 % des Espagnols souhaitent que le dialogue avec ETA soit réinstauré. Comme quoi, au milieu des vociférations, il ne faut jamais désespérer.

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